La treille ou Le galant surprenant la bergère endormie

MANUFACTURE DE TOURNAI

La treille ou Le galant surprenant la bergère endormie
2 e moitié du 18e siècle
Porcelaine tendre à glaçure 25 x 25 x 18,5 cm
Collection du Grand Curtius, Liège
Legs Charles Grandgagnage, 1878
N° d’inventaire 1878/GGG/097

UNE RENCONTRE GALANTE SOUS LA CHARMILLE
Un homme debout s’émerveille d’un geste ample et théâtral devant une femme mi-allongée, accoudée sur un rocher. Le jeune couple se situe sous une pergola complexe, escaladée par huit putti ailés. Sur le toit de la treille, un héron s’échappe de la végétation. Sur la droite, un animal ailé engloutit une guirlande de fleurs.

UNE PIÈCE EXCEPTIONNELLE
Une multitude de petites fleurs à pétales fines, de grappes de raisin et de feuilles enchevêtrées envahissent les treillis et même les cavités, rendant la composition surchargée et inextricable. Si d’habitude les groupes sculptés évoluent autour d’un axe vertical, selon un format pyramidal, la structure obtenue par la treille est plutôt rectangulaire. La délicatesse d’exécution est pourtant étonnante et la complexité de la composition un vrai tour de force, compte tenu des dimensions importantes de la pièce. Elle peut être admirée de tous les côtés, les putti étant répartis sur tout le pourtour de la tonnelle. La glaçure s’accumulant dans certains reliefs, elle empâte les détails et donne à la surface un aspect gras et onctueux, caractéristique de Tournai. Les anfractuosités dans des socles en forme de tertres légèrement rocheux sont également typiques des groupes tournaisiens. Il s’agit d’une pièce exceptionnelle par sa construction, et rare, puisqu’une seule autre version, légèrement différente, n’est connue, conservée aux Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles.

À BIEN Y REGARDER…
Outre les fissures de cuisson, un examen plus attentif fait apparaître plusieurs petits accidents, à moins qu’il s’agisse de clins d’œil de la part du céramiste ? Toujours est-il qu’un des putti observe attentivement le couple, un doigt dans le nez. Un autre se penche en tenant ce qui ressemble à un petit bouquet de fleurs entre ses fesses (l’élément incriminent est cassé), un troisième balance une bouteille de vin sur son genou alors que son compagnon se trouve étendu sur le treillage, le visage recouvert de fleurs. L’animal décrit ailleurs comme un cygne ressemble plutôt à un monstre hybride ailé aux pattes palmées, une queue de dragon, les seins lourds, une crête le long du cou et une gueule munie de fines dents redoutables, dévorant des guirlandes de fleurs. Un putto, plus alerte que les autres, se penche en dehors de la treille en brandissant ce qui était probablement une arme pour attaquer le monstre en contre-bas.

LA MANUFACTURE DE TOURNAI
En quête d’une matière imitant la porcelaine chinoise, les céramistes européens mettent au point, dès le 17 e siècle, la fabrication d’une pâte à base d’une argile blanche et fine qui devient translucide après cuisson : la porcelaine tendre. Vers le milieu du 18e siècle, Tournai devient le grand centre de production des Pays-Bas autrichiens. Sous la direction de François-Joseph Peterinck, sa manufacture obtient du gouverneur général, le prince Charles de Lorraine, le monopole pour la fabrication de porcelaine tendre. En quelques années, elle atteint sa période de perfection technique et Tournai occupe une place importante au carrefour des influences française, anglaise et allemande. Le répertoire va de la vaisselle courante et bon marché aux pièces d’exception commanditées par l’aristocratie. La production est constamment remise au goût du jour et comprendra très tôt des groupes en porcelaine, appréciés par la noblesse et la bourgeoisie.

L’INFLUENCE DE LA PEINTURE
C’est aussi le 17 e siècle qui inaugure les représentations de pastorales. Sous l’impulsion de peintres français comme Antoine Watteau ou Nicolas Lancret, des scènes galantes représentant des couples de bergers et bergères mondains dans un paysage idyllique, envahissent les cours européennes à partir des années 1740. Le thème des putti, héritier de l’art de la Renaissance, resurgit grâce aux œuvres de François Boucher. La diffusion de ces modèles iconographiques est assurée par d’innombrables gravures d’après les maîtres, qui connaîtront un succès sans précédent dans la décoration de porcelaines de tous les grands centres de production européens du 18e siècle.

Carmen Genten Conservatrice du Département des arts décoratifs - Musée Grand Curtius