Le buste de « La Belle Liégeoise » : Théroigne de Méricourt (1762-1817)

Depuis mai 2016, les Liégeois empruntent une nouvelle passerelle cyclo-pédestre enjambant la Meuse, qui relie le quartier des Guillemins au parc et au musée de La Boverie. Cette passerelle a été dénommée par les autorités communales « La Belle Liégeoise », en hommage à une héroïne de la Révolution française, pionnière du féminisme : Anne-Josèphe Terwagne, qui, arrivée à Paris en 1789 pour participer aux évènements, francisa son nom en Anne-Josèphe Théroigne. Née en 1762 dans une famille de laboureurs du village de Marcourt – alors en Principauté de Liège et aujourd’hui en province du Luxembourg –, elle est passée à la postérité sous le nom de Théroigne de Méricourt : une allusion moqueuse à son village natal et ses origines modestes, que lui attribua fielleusement une presse royaliste parisienne largement hostile.

Le buste en plâtre réalisé par le sculpteur français Joseph-Charles Marin (Paris, 1749-1834) saisit Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt en 1792, soit à une époque où elle est au faîte de sa gloire. Le port altier, le classicisme des traits du visage, que surmonte une chevelure abondante et très soignée, ainsi que les plis du tissu de sa robe, attestent d’une élégance personnelle qui la fit remarquer dans les tribunes de l’Assemblée : elle est l’une des premières femmes à assister régulièrement aux débats publics.

La représentation de Marin place Théroigne dans un monde où la frontière visuelle entre personnalités de l’Ancien Régime, de la bourgeoisie et du pouvoir révolutionnaire reste encore partagée. Pas de bonnet phrygien, pas de cheveux courts, et pas non plus de redingote masculine : une tenue qu’elle portera en revendiquant sa qualité d’amazone, pour marquer son égalité avec les hommes. Dans le regard de Théroigne, cependant, on peut déceler un léger trouble, qui peut suggérer qu’elle a déjà dû faire face à certaines épreuves par le passé.  

Dans les circonstances houleuses et meurtrières de la Révolution française, la destinée de celle que l’on a surnommée à Paris « La Belle Liégeoise » est étonnante, aventureuse, pleine de péripéties, mais également cruellement tragique. Sa personnalité a suscité, de son vivant et après sa mort, autant d’admiration que d’agressions injurieuses. Après avoir marqué de sa présence et par ses discours polémiques en faveur des femmes les débuts de la Révolution, elle n’échappa à la guillotine que parce qu’on la déclara « démente », ce qui n’était pas le cas. Son frère demanda son internement en 1795, et malgré ses protestations, elle fut enfermée, dans des conditions infamantes, mais courantes à l’époque, à l’hôpital de La Salpêtrière à Paris, jusqu’à sa mort, en 1817 : vingt-trois années d’enfermement asilaire…

La personne d’Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt s’est transformée en figure mythique de la Révolution française, propice à la multiplication des stéréotypes caricaturaux, dont heureusement on a aujourd’hui pu faire justice.

Alain Delaunois
Attaché scientifique / Musées de la Ville de Liège

Légendes photos : 
  1. Joseph-Charles Marin (Paris, 1749-1834), Buste de Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, surnommée « La Belle Liégeoise », 1792. Plâtre. Acquisition du Fonds Raphaël et Françoise Haeven en 2019 par la Fondation Roi Baudouin, dépôt aux Musées de la Ville de Liège en 2020. Le Fonds Raphaël et Françoise Haeven a été créé au sein de la Fondation Roi Baudouin par deux citoyens liégeois décédés, désireux de soutenir la conservation du patrimoine artistique.
     
  2. Lettre de Théroigne de Méricourt au banquier Monsieur Perregaux à Paris, Liège, le 29 juillet 1790. Bibliothèque Ulysse Capitaine - Fonds patrimoniaux de la Ville de Liège.

Copyright photo : AD/Musées de la Ville de Liège

Cet objet du mois sera mis à l'honneur durant tout l'été 2020.