Un Christ enfant à la couronne d’épines

Par le peintre Jean-Gilles Del Cour

La réapparition d’une peinture de Jean-Gilles Del Cour (1632 ? - 1695), frère du célèbre sculpteur baroque, est un événement tant sont rares les tableaux conservés de ce peintre : une douzaine seulement. Ce maître a pourtant été l’un des principaux actifs à Liège dans cette période d’apogée que fut le 17e siècle. Mais il est à peine connu, n’étant guère parvenu à se détacher de l’ombre tutélaire de son illustre aîné.

A l’issue de ses humanités, au début des années 1650, il a été reçu dans l’atelier de Bertholet Flémal. Après cette période, il pourrait avoir accompagné son frère à Rome. On trouve dans les collections de la Ville de Liège quelques croquis réalisés lors de ces séjours.

On sait que les deux frères ont régulièrement collaboré. Le peintre a, par exemple, orné de tableaux des cheminées, plafonds ou autels (comme celui de la collégiale Saint-Pierre) réalisés par le sculpteur. Mais l’œuvre de Jean-Gilles Del Cour reste peu connu, n’ayant jamais fait l’objet d’une publication de synthèse. Une chose est certaine, il est le digne suiveur de son maître Flémal, surtout dans ses grands tableaux religieux classicisants et poussinesques. Son chef-d’œuvre est du reste un tableau d’autel attribué jusqu’il y a peu à Flémal lui-même : l’Assomption de la Vierge qui ornait jadis l’autel majeur de la collégiale de Ciney.

Le Christ enfant à la couronne d’épines, réapparu à la vente Lempertz à Cologne le 14 novembre 2020 et acquis par le Grand Curtius, n’était pas tout à fait inconnu. Si on ignore tout de son origine, cette toile est mentionnée dès 1873, avec un pendant, au domicile du grand collectionneur liégeois Edouard Brahy (1847-1914), qui fut président de l’Institut archéologique liégeois. Elle n’a plus été vue depuis l’exposition La Passion du Christ dans l’art ancien au pays mosan qui s’est tenue à Liège en 1935 : elle se trouvait alors dans la collection Buisset-Delheid à Bruxelles. Son pendant, une Vierge lisant, n’a, quant à lui, pas encore refait surface.

Le sujet du tableau récemment acquis à Cologne relève de ce que l’on appelle l’Enfant de la Passion, lorsque le jeune Jésus porte l’un ou l’autre des instruments de la Passion, les arma Christi. Il est ici représenté dans une ambiance doloriste, sous les traits d’un jeune adolescent saisissant précautionneusement une couronne d’épines de la main gauche : comme distrait, il paraît la tenir plus négligemment de l’autre main, plus massive. Il porte la robe rouge et le manteau bleu, les couleurs typologiques traditionnelles. On retrouve ici le goût flémallien des ombres très soulignées. Les gestes de l’Enfant Jésus joints au regard levé vers le ciel confère un mode interrogatif au sujet. Le Sauveur pressent sa destinée et semble interroger le ciel à ce propos, dans une sorte de préfiguration de l’agonie au jardin des Oliviers.

Diagnostic et restauration

L’œuvre était couverte d’un épais vernis jauni, modifiant son chromatisme initial. Des repeints recouvraient des zones relativement étendues, dont la plus importante se situait au niveau de la robe bleue (partie inférieure gauche du tableau). L’œuvre a subi une restauration à une période indéterminée : la toile a été rentoilée, consolidée par une toile appliquée sur son revers. Cette opération a probablement été réalisée à la suite d’une déchirure, encore légèrement visible aujourd’hui, au niveau du front de l’Enfant Jésus. On observait ci et là quelques déformations du support toile, sensiblement boursouflée au niveau de la main droite. Quelques soulèvements de la couche picturale étaient à noter.

Le traitement a débuté par un refixage localisé de la couche picturale. Un aplanissement de la toile par mise sous presse a permis de résorber les boursouflures. Un nettoyage superficiel a ensuite fait disparaître l’encrassement de surface. Dès lors, le vernis jauni a pu être ôté à l’aide d’un mélange de solvants choisis en fonction de leur efficacité. Les repeints ont été dégagés avec les mêmes solvants, mais dans des concentrations différentes. Si, avant le dégagement du repeint le plus important, l’on s’attendait à ce que la matière picturale originale soit dans un état désastreux, il n’en était rien. La couche picturale ainsi retrouvée était en bon état, même si elle nécessitait quelques retouches. On se demande pourquoi un repeint d’une telle ampleur a bien pu être pratiqué.

Une couche de vernis de travail a été appliquée afin d’isoler les retouches de la couche picturale originale. Celles-ci ont été réalisées de manière illusionniste.

Coïncidence amusante, le Christ enfant à la couronne d’épines va regagner son environnement du 19e siècle, puisque la maison qu’Edouard Brahy et son épouse Anna Post occupaient en Féronstrée est aujourd’hui intégrée au Grand Curtius.

L'oeuvre en vidéo

 

Musée Grand Curtius Liège

 

 

Pierre-Yves Kairis

Historien de l’art

Christophe Remacle

Conservateur-Restaurateur des Musées de la Ville de Liège

 

Emplacement de l'exposition - Objet du mois.

L'oeuvre est visible dans la vitrine de l'objet du mois. Hall d'entrée du musée Grand Curtius à Liège.

Légendes visuels

Un Christ enfant à la couronne d’épines.
Copyright Ville de Liège - Grand Curtius.