Délicates tabatières chinoises en verre

J’ai du bon tabac dans ma tabatière…

Le tabac : pour ou contre ?

Introduit en Europe au milieu du 16e siècle, le tabac importé d’Amérique est utilisé comme plante médicinale alors que ses effets guérisseurs sont déjà mis en doute par certains. Il est consommé selon la pratique indienne, fumé ou mâché, et rapidement méprisé par les classes élitistes. Dès 1626, il est d’ailleurs interdit de consommation dans un lieu public ; sa vente est réservée aux apothicaires. Malgré ces contraintes, inhaler l’herbe broyée devient une activité mondaine, et surtout, la tabatière, une boîte à couvercle richement décorée, se transforme en accessoire de mode.

En Chine : fumer puis « sniffer »

Vers 1600, à l’autre bout du monde, la Chine alors gouvernée par la dynastie Ming (1368-1644) découvre le tabac amené par des Européens. Il est alors fumé, consumé dans le fourneau d’une pipe. Toutefois la mode change avec la nouvelle dynastie Qing, régnant dès 1644. Désormais, à la cour de l’empereur Kangxi (règne : 1661-1722), le tabac fermenté, réduit en poudre épicée, est prisé, inhalé, ou encore « sniffé » (d’où l’appellation anglaise « snuff bottles » pour désigner les flacons à tabac). Comme en Europe et malgré les recommandations médicales, priser le tabac singularise rapidement l’aristocratie.

« Snuff bottle » ? Un accessoire raffiné de l’élite chinoise

La tabatière orientale prend une forme radicalement différente de l’européenne, pour deux raisons majeures. D’un côté, le climat humide de la Chine ne favorise pas la conservation correcte de la poudre de tabac dans des boîtes à large ouverture. De jolies fioles sont fermées par un bouchon décoratif muni de liège pour clore hermétiquement l’étroit orifice et d’une spatule servant à extraire le tabac. De l’autre, une tabatière de petit format convient idéalement pour être serrée dans la main, protégée dans une pochette en soie accrochée à la ceinture ou glissée dans le revers de la manche. Sous la dynastie Qing (1644-1911), particulièrement sous le règne de l’empereur Kangxi, la consommation de tabac à priser provoque un renouveau du verre soufflé. Recevant des cadeaux occidentaux en verre, l’empereur est séduit par ce matériau et fonde une fournaise en 1696, au sein du palais impérial de Beijing (la Cité interdite). Il confie l’atelier à un jésuite allemand qui forme les verriers aux techniques de fabrication et de décoration (taille et gravure). Fonctionnelle, la tabatière devient un objet artistique et représentatif de son propriétaire.

De délicats objets de luxe convoités par les courtisans orientaux...

À la suite de son père l’empereur Yonghzen (règne : 1722-1735), Qianlong (règne : 1735-1796), grand amateur de tabac lui aussi, développe un réel engouement pour la consommation du « snuff » favorisant la création variée de flacons raffinés réalisés en diverses matières (jadéite, cristal de roche, ivoire, porcelaine, etc.). Aux yeux des Chinois, les tabatières en jade comptent parmi les plus précieuses.

Toutefois, le verre d’une grande pureté et souvent coloré (30 variétés recensées) reste un matériau de prédilection que les artisans, le plus souvent, sculptent et polissent comme la pierre. Deux techniques principales sont mises en œuvre pour décorer ces petits objets. L’une consiste à superposer plusieurs couches de verre coloré et à graver ou tailler la couche supérieure pour faire apparaître le motif. L’autre, plus tardive, consiste à peindre un sujet avec un pinceau ultra fin, à l’intérieur de la fiole en verre incolore.

Les tabatières sont traditionnellement offertes aux empereurs ou commandées en nombre par ceux-ci pour offrir des cadeaux officiels ou privés. Jusqu’à la fin du 18e siècle, la prise le tabac est réservée aux élites : lettrés, hauts fonctionnaires, empereur et sa cour. Mais dès la fin du siècle, la pratique se démocratise entrainant une utilisation accrue des tabatières ce qui fait naître de vastes ateliers de production installés à Beijing. Le commerce des tabatières connaît son essor au 19e siècle car, en cette période, l’ensemble de la population chinoise prise le tabac. Ce dernier est toutefois détrôné au début du 20e siècle avec l’avènement de la cigarette.

Trésors miniatures appréciés par les collectionneurs occidentaux

Ces tabatières orientales aux couleurs vives et aux décors exotiques enthousiasment les amateurs occidentaux qui les achètent sur place ou chez des antiquaires. Acquise en 1952 par la Ville de Liège pour le Musée Curtius, la collection de verreries anciennes de la famille Baar compte de nombreuses tabatières chinoises qui laissaient sans doute flotter un léger parfum d’exotisme très à la mode au 19e siècle.

Isabelle Verhoeven, conservatrice
Département du Verre / Grand Curtius

 

Emplacement de l'exposition

Les objets sont visibles dans la vitrine de l'objet du mois. Hall d'entrée du musée Grand Curtius à Liège.

 

Légendes visuels - Copyright Ville de Liège - Grand Curtius.