Un vase d'Émile Gallé : designer, botaniste, poète et militant

Septe 1897 Exposit 1900 : un vase réalisé pour l’Exposition universelle de Paris en 1900.

Du 14 avril au 12 novembre 1900, l’Exposition parisienne accueille de multiples pavillons internationaux dans lesquels se pressent plus de cinquante millions de visiteurs. Si elle permet la consécration de l’Art nouveau auprès du public et de la presse, ce qui assure aux artistes de Nancy une visibilité tant recherchée, l’Exposition crée aussi des controverses chez les mêmes. Face à la dispersion des créations en divers lieux, Émile Gallé (Nancy, 1846 – 1904) est particulièrement virulent car ses « nouveautés » sont disséminées dans le « Palais des Industries diverses » !

Conscient de l’enjeu promotionnel et soucieux de sa renommée, Gallé prépare minutieusement sa participation. Dès 1897, il se consacre non seulement à la conception de pièces dont les recherches novatrices transparaissent dans le style, la technique et la symbolique mais aussi à leur présentation.

À la fin du 19e siècle, la population se divise autour de l’Affaire Dreyfus qui, discrètement, compose le cœur de la scénographie des verreries de Gallé. Plus globalement, en associant sur certaines pièces décors et expressions littéraires (verrerie parlante), l’artiste revendique le principe de l’innocence et de la justice, illustrant en filigrane, son engagement pour le jeune capitaine alsacien.

Brevet d’invention : la marqueterie sur verre

Cherchant sans relâche la nouveauté, Gallé met au point des techniques sophistiquées et dépose, en 1898, un Brevet d’Invention de quinze années pour Genre de marqueterie de verres ou cristaux. Concrètement, un procédé imité du placage sur bois est mis en œuvre avec des parcelles de verres colorés de formes et épaisseurs variées qui, à chaud, sont délicatement déposées sur ou sous la couche vitreuse incolore. Innovante, mais périlleuse et coûteuse, la marqueterie sur verre est principalement mise en œuvre pour des pièces de prestige montrées aux expositions ou réalisées pour de riches mécènes.

En détaillant l’organisation des couleurs contribuant à son décor, le vase fait apparaître des fragments délicatement colorés et gravés à la roue (une molette métallique tournant rapidement entaille le verre avec précision), témoignant d’ébauche de marqueterie et non de couches superposées de verre coloré. Le choix inhabituel des tonalités sur fond blanc apparaît sur quelques autres vases contemporains de celui-ci, conservés dans des musées internationaux.

Question de style : l’Art nouveau

Infatigable promeneur, dynamique fondateur de la Société d’Horticulture de Nancy, passionné de fleurs et de littérature, Gallé orne ses créations verrières de plantes à la fois clairement identifiables mais aussi personnelles. Ici, les dahlias s’épanouissent en divers coloris pâles (les ébauches de marqueterie) ou courbent langoureusement leur fleur. En accord avec la silhouette du vase, les formes sinueuses des tiges, de la signature et des inscriptions montrent le caractère naturalisant de l’Art nouveau nancéen. Subtilité encore, la gravure à la roue forme un fond légèrement martelé ce qui permet d’accrocher délicatement une lumière frémissante.

Vase et littérature ?… une verrerie parlante !

L’expression « verrerie parlante » est employée par Gallé pour la première fois en 1884. Elle concerne les objets gravés, le plus souvent, d’une citation littéraire perceptible pour qui manipule la pièce. En plus de s’adresser à nos sens visuels et tactiles, la verrerie dévoile aussi une signification expressive, poétique ou engagée. De 1889 à sa mort en 1904, plusieurs chefs-d’œuvre de l’artiste « parlent », gravés d’inscriptions, parfois personnelles, souvent issues de la littérature  : Victor Hugo au premier rang, mais aussi Baudelaire, Lamartine…

Dahlia du vase Emile Gallé exposé au musée Grand Curtius à LiègeLe vase laisse entrevoir la fine gravure, anciennement dorée, énonçant les vers de Baudelaire qui semblent s’échapper du sol pour monter, telle la divine fumée… Le texte du poète américain Henry LongFellow (1807-1882) traduit par Baudelaire et intitulé « Le Calumet de Paix » apparaît dans le recueil « Les Fleurs du Mal ». Il décrit l’arrivée de Gitche Manito, le Maître de la Vie, qui vient fumer le calumet de Paix pour convier les nations indiennes et les exhorter à vivre en paix  : la fumée est le grand signal d’invitation à cette assemblée générale. Plus loin dans le poème : Désormais vivez comme des frères / Et tous, unis, fumez le Calumet de Paix. Peut-on y voir une allusion à la position de Gallé envers Dreyfus ? De même pour le choix du dahlia dont la symbolique évoque l’engagement, la fidélité… ?

Isabelle Verhoeven Conservatrice, Département du verre - Musée Grand Curtius

 

Vidéo de l'objet du mois au musée Grand Curtius à Liège

 

Emplacement de l'exposition

Le vase est visible dans la vitrine de l'objet du mois. Hall d'entrée du musée Grand Curtius à Liège.

Fiche technique

Émile Gallé, vase en verre incolore soufflé, doublé blanc opaque, orné d’applications de verre jaune, rose et vert pâles (ébauches de marqueterie sur verre), gravure à la roue dégageant des dahlias sur fond clair délicatement martelé.
Signé : Gallé (sur la panse, en camée, écriture « Belle Époque »)

Inscriptions gravées d’un double trait recevant la dorure, aujourd’hui assez effacée :
Dates : Septe 1897 Exposit 1900
Citation de vers écrits par Charles Baudelaire :
Le Calumet de Paix / Baudelaire
Et lentement montait la divine fumée
Dans l’air doux du matin
onduleuse, embaumée

H : 37,8 cm ; diam col : 5,7 cm ; diam corps : 15 cm

Département du Verre - Grand Curtius

N° inv. 58/315

Légendes visuels

Vase d'Emile Gallé : vue d'ensemble et de détail du vase. Copyright Ville de Liège - Grand Curtius